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la somme d’érudition rassemblée dans le travail princeps (et
inaccessible) : Mushrooms Russia and History.

   L’importance de cette découverte ne fut donc pas reconnue,
aussi l’identification de l’amanite au Soma fut jugée, au même titre
que la rhubarbe et parmi tant d’autres, comme une théorie de plus.
Par ailleurs, ainsi que le remarquait Lévi-Strauss, l’assimilation
d’une divinité védique à un champignon hallucinogène sibérien ne
pouvait que “déranger les indianistes”1. À cet empêchement de fond,
vint s’ajouter une circonstance aggravante, car deux ans plus tard,
en 1970, mais dans le domaine de la philologie sémitique
comparée, John-Marco Allegro2 devait scandaliser ses plus
éminents collègues d’Oxford et de Cambridge en leur présentant
l’idée que les premiers chrétiens pratiquaient le rite de l’eucharistie
par l’absorption d’amanite tue-mouche3 ! Devant cette convergence
inattendue, les sciences humaines jugèrent bon de s’écarter d’un
objet d’étude aussi turbulent.

La thèse de Soma fut donc laissée dans l’ombre. Fortement dépité,
Wasson s’entoura de trois collaborateurs4 pour publier, dix ans
plus tard, The Road to Éleusis. L’objectif était de relancer le débat en
jumelant le Soma à l’idée que les prêtres d’Éleusis avaient utilisé
rituellement le Claviceps purpura dans la boisson sacrée des grands
mystères ; ce champignon(l’ergot de seigle) induit des effets

1 In Claude Lévi-Strauss, Les Champignons dans la culture. À propos d’un livre de
R. G. Wasson (1970).
2 En 1953, J. M. Allegro fut le premier représentant britannique dans l’équipe de
l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, à travailler sur les
manuscrits de la mer Morte.
3 Allegro, The Sacred Mushroom and the Cross: A Study of the Nature and Origins
of Christianity Within the Fertility Cults of the Ancient Near East, (1970).
4 R. Gordon Wasson, Albert Hofmann. Carl A. P. Ruck, The Road to Eleusis:
Unveiling the Secret of the Mysteries (1978). Albert Hoffman est l’inventeur du
LSD ; s’y ajoute la collaboration de Danny Stapples pour la traduction des
Hymnes à Déméter, et de Jonhatan Ott (pour la traduction de l’Afterword rédigé
par Albert Hoffman). Voir les publications ultérieures de Ott et de Stapple en
bibliographie.
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